Déchiffrement des hiéroglyphes
Contre de telles spéculations infructueuses, les observations occasionnelles d'hommes exceptionnels comme de Guignes, Warburton et Carsten Niebuhr ne pouvaient guère être utiles en l'absence d'un indice précis pour le déchiffrement des écritures anciennes. Un tel indice fut enfin fourni lorsque des soldats français, travaillant sur les fondations d'une forteresse à Rosette, découvrirent une inscription trilingue en grec, démotique et hiéroglyphique (1799). Cette inscription, depuis célèbre sous le nom de Pierre de Rosette, prouvait grâce à sa portion grecque qu'il s'agissait d'un décret en l'honneur de Ptolémée Épiphanès, que les prêtres d'Égypte avaient fait ériger dans tous les temples du pays (196 av. J.-C.). Malheureusement, seule une portion relativement petite du texte hiéroglyphique est préservée, et c'est sans doute pour cette raison, bien que ce soit aussi en partie à cause de la nature symbolique alors attribuée aux hiéroglyphes, que les érudits se sont d'abord tournés vers la section démotique. La pierre elle-même était passée en mains anglaises, mais une copie était restée entre les mains du célèbre orientalisme français Silvestre de Sacy.

Après une tentative avortée de sa part, de Sacy remit la copie au diplomate suédois Akerblad, un homme de talents considérables à l'époque, se consacrant aux recherches orientales à Paris. En l'espace de deux mois, Akerblad réussit, par la comparaison des textes grec et démotique, à identifier dans ce dernier tous les noms propres figurant dans le premier, en plus de reconnaître, écrits alphabétiquement dans leurs formes coptes correctes, les mots pour "temples" et pour "Grecs", ainsi que le suffixe pronominal pour "lui" et "son". Dans la lettre à M. de Sacy, publiée en 1802, un premier et important pas est franchi vers l'objectif atteint par Champollion seulement vingt ans plus tard. Le fait qu'Akerblad n'ait pas réussi à faire des progrès supplémentaires sur le chemin où il avait été un pionnier si admirable est dû à une préoccupation dont il ne pouvait se débarrasser ; les mots qu'il avait déchiffrés étaient écrits alphabétiquement, et il croyait donc que l'écriture démotique était exclusivement alphabétique.
Le prochain grand avancement fut dû à un Anglais, en la personne du célèbre Thomas...
Young, l'auteur de la théorie ondulatoire de la lumière. Homme de grande érudition et d'intérêts variés, Young était toujours prêt à relever un nouveau défi ; ainsi, lorsqu'en 1814 une copie de la Pierre de Rosette tomba entre ses mains, il aborda le problème avec enthousiasme. Tout en approuvant les résultats d'Akerblad dans la mesure où ils allaient, il comprit rapidement que le démotique regorgeait de signes qui ne pouvaient pas être expliqués comme alphabétiques. De plus, il saisit le fait que les systèmes d'écriture démotique et hiéroglyphique étaient étroitement liés. En remarquant que la section grecque était pleine de mots qui se répétaient, il utilisa ces mots comme base pour diviser les trois sections en leurs mots composants, et il ne fallut pas longtemps avant que son vocabulaire grec-démotique atteigne quatre-vingt-six groupes, dont la plupart étaient corrects, bien que ses tentatives d'indiquer les sons dont ils étaient composés et de fournir des équivalents coptes étaient généralement erronées. En 1816, il annonça d'autres découvertes obtenues à partir de matériel autre que la Pierre de Rosette. Il avait maintenant identifié de longs passages sur des papyrus (appartenant au Livre des Morts) écrits en hiéroglyphes et en hiératique, établissant ainsi l'équivalence des formes picturales et cursives des signes. Il était certain que le démotique et les hiéroglyphes consistaient en grande partie d'éléments phonétiques ; il avait démontré le fait, deviné longtemps auparavant par de Guignes et Zoega, que les cartouches ou "anneaux royaux" vus dans les hiéroglyphes contenaient les noms des rois et des reines, avait "très ingénieusement" mais plutôt chanceusement identifié le cartouche de Bérénice en plus de celui connu de Ptolémée, et suggérait correctement qu'un autre cartouche devait être celui de Toutankhamon de la XVIIIe dynastie. Il avait également souligné dans les hiéroglyphes les caractères alphabétiques pour f et t, et le "déterminatif" utilisé dans les textes tardifs pour les noms féminins, et avait reconnu à partir des variantes dans les papyrus que différents caractères pouvaient avoir les mêmes pouvoirs — en bref, le principe de l'homophonie. Tout cela était mêlé de nombreuses conclusions erronées, mais la méthode suivie menait infailliblement à un déchiffrement définitif.

Pendant ce temps, Jean-François Champollion, le jeune érudit français qui était destiné à acquérir une renommée immortelle en tant que déchiffreur des hiéroglyphes, n’avait encore que peu de résultats positifs à enregistrer. Né à Figeac dans le département du Lot le 23 décembre 1790, l'intérêt de Champollion pour l'Égypte s'était éveillé dès son jeune âge. À l'âge de douze ans, il maîtrisait déjà les rudiments de l'hébreu et de l'arabe, et à partir de ce moment, son enthousiasme pour les choses orientales, fortement encouragé par son frère aîné Jacques-Joseph Champollion-Figeac, n’a jamais faibli. Sa maîtrise complète des matériaux disponibles lui a permis d'étendre ses découvertes avec une rapidité et une certitude bien au-delà du champ d'action de ses contemporains.
En passant sur les premiers écrits de Champollion, le premier et le plus ambitieux étant la partie géographique, en deux volumes, d'une œuvre encyclopédique projetée intitulée L’Égypte sous les Pharaons (1814), une étude approfondie lui avait apporté la conviction que les trois types d'écriture égyptienne n'étaient que des modifications les uns des autres. En été 1821, lorsqu'il imprima sa brochure sur l'écriture hiératique, il n’eut aucune difficulté à convertir les groupes démotiques qu'il connaissait en hiératique, puis en hiéroglyphes. Avec le nom de Ptolémée à la fois en hiéroglyphes et en démotique, il en était déjà familier depuis la Pierre de Rosette, et à peu près à cette époque, il se familiarisa avec le papyrus démotique Casati, où il trouva et, comme le assure son biographe, transcrivit immédiatement en hiéroglyphes un nom qu'il conjectura à juste titre être celui de Cléopâtre. Cependant, la confirmation de cette conjecture manquait encore pour le moment. En 1815, W. J. Bankes, en explorant le temple de Philae, avait découvert un bloc de base couvert d'inscriptions grecques en l'honneur de Ptolémée Physcon et des deux Cléopâtre, près d'un obélisque renversé qui semblait avoir été posé dessus. Le bloc de base et l'obélisque furent transportés en Angleterre en 1819 pour orner le parc de M. Bankes à Kingston Lacy. Une lithographie des inscriptions grecques et hiéroglyphiques fut réalisée pour Bankes en 1821, et en janvier suivant, Leronne envoya à Champollion une copie avec la suggestion de Cléopâtre griffonnée par Bankes contre le cartouche.
